François Bayle Erosphère 1979
interprète : Jonathan Prager
Ce cycle est constitué de trois pièces et de trois préludes. Il décrit une arche qui mène d’un tumulte quotidien, anguleux et humain, à un ciel libre de contraintes, sinon de tout danger. Érosphère désigne “ la loi de gravitation du désir ” (Bayle). Le désir consiste à deviner, comprendre et voir à partir de ce qui ne se voit pas, ce qui rend compte assez précisément de la situation acousmatique.
I Eros bleu La Fin du bruit, (29’40, 1979, cat. 69) II Eros rouge Tremblement de terre très doux, (28’10, 1978, cat. 66) III Eros noir Toupie dans le ciel, (22′, 1979, cat. 70) La Fin du bruit, (29’40, 1979, cat. 69) Cette fin n’est pas seulement celle de la finitude et de l’extinction (l’effondrement du continent-son ”), mais celle du but, qui reste une fois que le son a cessé de sonner. La Fin du bruit vise, au-delà des catégories de son et de bruit, une “ musique générale ”, qui pourrait être l’infini du bruit. C’est d’ailleurs sous ce titre d’Infini du bruit que cette pièce sera reprise par le compositeur en 1998, en une version plus courte destinée au disque (cf. ci-dessous). La première partie de l’œuvre mêle des bruits de foules, de trafics, de grésillements et d’acclamations (qui rappellent certains morceaux de l’Expérience Acoustique). Cet univers d’activités humaines et de sons épais, est unifié et mené par un premier plan de séquences itératives et opiniâtres, en un flux puissant qui débouche sur un chant électrique épuré. L’espace devient large. Un long chant grave légèrement ronflant, frangé d’un liseré aigu fantomatique, s’élève lentement. Une irrésistible giration ascendante, trouée de déflagrations magnétiques, nous fait percevoir la précipitation tranquille du bruit vers sa propre évanescence où nous n’entendons plus, mais vers laquelle nous pouvons encore tendre l’oreille. Commande d’État Tremblement de terre très doux, (28’10, 1978, cat. 66) climat 1 transit 1 paysage 1 climat 2 paysage 2 transit 2 paysage 3 climat 3 paysage 4 climat 4 et transit 3 paysage 4 Cette deuxième pièce du cycle Érosphère, dont le titre est emprunté à Max Ernst, fut composée la première et intégrée au cycle par la suite. Sa composition suit chronologiquement celle de Camera oscura. Les onze mouvements quoique titrés séparément sont soudés, au contraire des pièces précédentes qui offraient des mouvements indépendants. Le tremblement de la transe, qu’on a déjà rencontré dans l’Expérience Acoustique et dans la danse du tremblement initial (Purgatoire), est devenu doux. Nous sommes passé d’une transe “africaine” à une transe “orientale”, maîtrisée, presque une transe véhicule. Les mouvements sont répartis en trois familles : les climats, les transits et les paysages, interpolés les uns avec les autres. Ce qui est remarquable dans cette pièce, c’est la création d’une unité dynamique et dramatique par apposition de séquences “plates” et peu évolutives en elles-mêmes. Il y a ici un dramatisme par ruptures et bascules d’états — ou, pour employer un mot qu’utilise le compositeur : par catastrophes. L’ensemble apparaît comme “ un espace éclaté, avec des commutateurs, comme pour zapper d’une plage à l’autre ” (Bayle), découvrant des activités secrètes, des glissements nocturnes, et ramenant au flux initial des climats… Les transits ouvrent sur des espaces énigmatiques de transferts audibles, aux aboutissements toujours différés ou suspendus, ponctués d’appels immobiles de voix féminine. Les paysages travaillent des images sonores et des atmosphères précises dont les significations exactes échappent. Ils culminent avec le paysage 3 : Là, nous sommes au plus proche : des voix, des pas précipités, des présences, une oppressante agitation — allons-nous savoir ?… Les climats (1 à 4), noyaux insaisissables de cette douce transe, sont un tressage complexe et polyphonique mêlant à un flux électronique délicat, vibratile et chatoyant, des ponctuations sourdes, et des frémissements de sonnailles et de boules entrechoquées. Coulée sonore qui n’arrête pas de venir à nous, comme une source, ou comme des phénomènes naturels plus secrets : réactions chimiques, échanges gazeux, activités cellulaires, etc. Ils sont un nouvel exemple de ces “ sons débordants ” du compositeur, dont l’audition semble générer du “ temps ultérieur ” et qui permet ici une véritable structuration par le manque de l’ensemble de la pièce. Leurs interruptions sont autant de catastrophes (on continue de les supposer mentalement sans les entendre) qui suspendent l’écoute et l’aimantent à leurs retours. Création à Paris, M.de R.F. Gr Auditorium, le 19 mars 1979, Cycle Acousmatique. Toupie dans le ciel, (22′, 1979, cat. 70) La substance de cette musique extraordinaire a été élaborée à partir d’un réel son de toupie, d’un pattern mélodico rythmique simple et de flux électroniques. Il y a ici une inversion des modes de jeux traditionnels de la musique : Alors que les hauteurs et le balancement rythmique restent imperturbablement les mêmes — ce qui peut faire entendre cette musique comme “minimale” — les variations (accentuations, désynchronisations, variations de densités, de mobilités, etc.) créent un bougé incessant, rendant la matière sonore quasi vivante, se réaffirmant toujours, toujours la même, toujours renouvelée. Notre écoute se trouve prise dans un nid sonore, délimité dans le grave par une pédale roulante, et dans l’aigu par un roucoulement ininterrompu, volubile et irisé, qui enfle et décroît en continu. Mais si cette musique est une berceuse, c’est de celle d’un tigre dont il s’agit ! Cette protection recèle une férocité et une menace d’autant plus puissante qu’elle ne se montre pas au grand jour. Elle n’est interrompue que par de grands sons en arche frottés-roulés, qui passent lentement, et déclenchent parfois des déflagrations électriques qui s’élèvent en zigzags. Au cours de ces failles sonores, (que l’auteur nomme des “ ciels ”), “ l’inexorable s’interrompt, et tout à coup de la liberté, de la légèreté surgit ” (Bayle). Biographie BAYLE François, 1932 – Tamatave. L’originalité de la démarche de Bayle tient en ceci que toute son activité musicale est vouée à l’exploration du monde « acousmatique », suivant une expression qu’il a généralisée. Vaste domaine au sein duquel se meut l’admirateur passionné de Jules Verne, Paul Klee, Gaston Bachelard, René Thom. Il est ainsi, tel l’explorateur, projeté dans le futur par le choix délibéré du matériau autour duquel s’organise sa création et inséré dans la réalité quotidienne et très concrète de nombreuses tâches liées à la découverte et à l’exploitation de son champ d’exploration, comme responsable du Groupe de Recherches Musicales (Ina-GRM) de 1966 à 1997, et désormais dans son propre studio Magison. Né à Madagascar en 1932, il achève sa scolarité à Bordeaux, mais ne suit pas une filière classique de formation musicale. Celle-ci est personnelle : c’est au travail, et à partir des expériences sur le son lui-même, que Bayle se découvre et se forme. Se considérant comme redevable à Pierre Schaeffer en ce domaine, il reçoit par ailleurs les conseils de Messiaen et va suivre les cours de composition de Stockhausen. S’il utilise encore dans ses premières œuvres des instruments traditionnels conjointement à la bande (Trois Portraits d’un Oiseau-Qui-N’existe-Pas, 1963), la référence à ceux-ci est pratiquement abandonnée par la suite. Par le moyen d’une grammaire, d’une arithmétique nouvelle, uniquement dans le domaine de la manipulation du son, François Bayle cherche en élargissant sans cesse son langage à établir une logique « biologique » dit-il, entre les deux mondes imaginatifs de la pensée et de l’expression. Il tient aux titres de ses œuvres comme à des « idées » que les images acoustiques traduisent par autant de métaphores : Espaces inhabitables, 1966 : Jeîta ou murmure des eaux, 1970; le groupe des 14 pièces de l’Expérience acoustique, 1970-73; Purgatoire, une évocation tirée de Dante, 1971-72; Vibrations composées, 1973; Tremblement de terre très doux, 1978; Toupie dans le ciel, 1979; les 5 volets de la suite Son Vitesse-Lumière, 1980-83; Les couleurs de la nuit, 1982; Motion-Emotion, 1985; Théâtre d’ombres, 1989; Fabulae, 1992; La Main Vide, 1994; Morceaux de Ciels, 1997; La forme du temps est un cercle, 2002; La forme de l’esprit est un papillon, 2004 ; Univers nerveux, 2005 ; Extra-Ordinaire, 2005. Sous le label Magison, sont édités la plupart de ces titres. Récentes parutions: Jeîta ou Murmure des eaux, L’infini du bruit, Jeîta-retour (Cycle Bayle, volume 13), Camera oscura, Espaces inhabitables (vol. 14), La forme du temps est un cercle (vol 15), Toupie dans le ciel (vol. 16), La forme de l’esprit est un papillon, (vol 18). Nombreuses distinctions dont le Grand Prix de la Musique de la Ville de Paris 1996, Grand Prix de l’Académie Charles Cros 1999 pour Jeîta et l’ensemble du Cycle Bayle (18 vol). d’après Brigitte Massin in Encyclopædia Universalis Albin Michel http://www.magison.org/ http://www.francoisbayle.fr |