Programme
Denis Dufour Dionaea [2007] 10’23*
Roberto Cassano Anjo Daza [2018] 08’19
Armando Balice Création [2020 création] 20’00
Jean baptiste Favory Postlude [2020 création] 11’19
Total 48’38
Interprète : Eric Broitmann et et stagiaire perfectionnement* : Geoffroy Montel
Denis Dufour Dionaea [2007] 10’23
opus 139
Cycle Le Livre des désordres
Réalisation sur ordinateur au studio du compositeur à Paris 19e
Prises de son : Denis Dufour
Création à Osaka, temple Senkoji, le 27 mai 2007 lors du concert IH plus vol.2 par Tomonari Higaki sur acousmonium IH plus
La Dionée, appelée aussi Gobe-mouche ou Venus’s flytrap, est une plante dont l’action rapide des lobes de ses feuilles constitue pour ses proies un étonnant piège à mâchoire. Sur le modèle de sa structure florale en étoile, constituée de plusieurs plans de symétrie (cinq pétales blancs, cinq sépales et une quinzaine d’étamines), l’œuvre joue sur ce que son appartenance à la catégorie des plantes carnivores peut suggérer : métaphore du vampire, symbole du prédateur aveugle, organisme apparemment dépourvu de perception, brutalité et rapidité de la réaction… Troisième œuvre du cycle Le Livre des désordres (1), Dionaea, tout en s’inspirant de ces images, poursuit le travail sur les impressions qui se dégagent au contact d’un proche qui passe de la plus profonde dépression à l’exaltation soudaine. L’analogie avec tout ce qu’évoque cette plante réside dans la sensation d’être pris au piège, phagocyté, absorbé par lui lorsque survient un épisode de brusque et intense excitation. Il devient alors impossible de le raisonner, dangereux de réagir, difficile de rester neutre, maladroit de laisser faire et douloureux de l’abandonner à son sort… [Denis Dufour]
(1) Commencé en 2007, Le Livre des désordres est une suite d’œuvres acousmatiques, instrumentales et mixtes* inspirées par les cycles perturbés de l’humeur propres aux personnes bipolaires, alternant les abysses de la plus profonde dépression et l’exaltation sommitale d’une toute puissance invincible et solaire. Le côtoiement d’un proche touché par ce trouble m’a suggéré d’exprimer par la musique, selon les œuvres, soit son ressenti profond entre excitation et abattement, soit mon observation distanciée de ses changements d’état, soit mes propres souffrances face tantôt à son excessive et destructrice euphorie, tantôt à son épuisante et déroutante immobilité. Compositeur, j’ai, depuis longtemps déjà, investi dans mes musiques** le territoire des sentiments, de leurs désordres et des déjouements dont ils sont souvent l’objet. Le trouble psychique, rarement évoqué de front, apparaît pourtant comme le moteur bien involontaire de nombre d’actions, de décisions, d’œuvres artistiques, d’aventures extraordinaires comme de redoutables tragédies humaines. Modèle à la fois abstrait, conceptuel et anecdotique, j’en ai fait, nourri de mes expériences et de mes rencontres, l’une des bases de réflexion et de construction de ma création. Cependant, chacun sait que la musique n’exprime rien d’autre que ce qu’il peut comprendre de son propre vécu et de ses sentiments, et de ce qu’il peut en accepter. [Denis Dufour]
* L’Esprit en étoile [2007] pour support audio, Spiritus / Stella pour deux basses de viole, Dionaea [2007] pour support audio, Noir [2008] pour piano et support audio, Heimliches Licht [2008] pour flûte et support audio, The Blob [2009] pour support audio, Face aux ténèbres [2009] pour saxophone alto, percussion, piano et support audio, Sprint [2014] pour flûte, percussion, violon, violoncelle et contrebasse, Amor Niger L. [2018] pour voix et support audio.
** Notre besoin de consolation est impossible à rassasier [1989], texte de Stig Dagerman lu par Thomas Brando, Charge maximale [1991], Bazar punaise [1996] et Voix off’ [2005] 91’02 sur des textes de Thomas Brando.
Biographie
Après des études classiques aux CRR de Lyon et CNSMD de Paris, Denis Dufour (1953, France) est devenu un créateur sonore reconnu tant dans le domaine de la musique instrumentale que dans celui de l’art acousmatique, avec plus de 180 œuvres composées à ce jour. Parmi les pionniers de l’approche morphologique et expressive du son, incluant dans son travail le plus large spectre des dimensions du phénomène sonore, il a, à la suite de Pierre Schaeffer et Pierre Henry, a fait émerger un genre musical fertile qui influencera consciemment ou non de nombreux musiciens et artistes.
Il est depuis la fin des années 70, enseignant (Pôle supérieur d’enseignement artistique Paris Boulogne-Billancourt, Conservatoires régionaux de Paris, Perpignan et Lyon), chercheur (notamment au GRM jusqu’en 2000), conférencier, et anime nombre de stages , ateliers et master classes en France et à l’étranger (Japon et Italie plus particulièrement). Organisateur et directeur artistique de nombreuses manifestations dédiées à la création contemporaine (cycles Acore à Lyon, Syntax à Perpignan, Musiques à réaction à Paris, Festival Futura dans la Drôme), il est à l’origine de plusieurs structures, collectifs et formations instrumentales qui continue d’irriguer la vie musicale en France et dans le Monde ( Motus , Syntax, TM +, Ensemble Linea, Les Temps modernes…).
https://www.denisdufour.fr/
Roberto Cassano Anjō-daza [2018] 08’19
« Anjō-daza » est une expression japonaise qui peut difficilement être traduite par « atteindre un esprit vide », un concept que la société occidentale vient de s’approprier et qu’on appelle communément « pleine conscience ». La composition raconte le processus qui consiste à se libérer consciemment des pensées qui surgissent spontanément à chaque instant et à prendre conscience du moment présent.
Les trois sections principales de l’œuvre reflètent respectivement la montée spontanée des pensées que nous ne pouvons pas contrôler, la lutte pour nous en détacher et enfin la condition de Anjō-daza dans laquelle nous pouvons regarder nos pensées à distance et prendre conscience de l’ici et du maintenant.
Biographie
Né en 1995, il est diplômé du Conservatoire de musique « Niccolò Piccini » en 2017 et obtient une licence en musique électronique en étudiant avec les professeurs Francesco Scagliola, Stefano Alessandretti, Francesco Abbrescia et Roberto Pugliese.
Ses compositions ont été sélectionnées et interprétées en Italie et à l’étranger dans le cadre de divers festivals et concours, parmi lesquels le Festival International de Musique Universitaire de Belfort (2015), le Festival Internazionale delle Arti RuidalSud (2015), le XXI CIM – Colloquio di Informatica Musicale (2016), le Silence 2016 – Festival international de musique acousmatique et expérimentale, Artescienza 2017 et URTIcanti 2017. Il a travaillé avec l’ensemble Soundscape Experience du Conservatoire de musique « Nino Rota » (Monopoli), en s’occupant de l’électronique en direct pour « Ayre » d’Osvaldo Golijov lors de sa première représentation en Italie. En octobre 2018, il assiste au « XIII Premio Nazionale delle Arti » et remporte le premier prix dans la catégorie « Œuvres acousmatiques originales ».
Armando Balice Création [2020 création] 20’00
« le vide est un facteur d’anéantissement apportant dans toute substance la contagion de son néant” Bachelard
Cette formule résume la conception du “vide” au Moyen Âge. Le vide m’inspire ici une forme de jardin intérieur.
Il y a différentes conceptions du vide dans l’histoire de l’humanité. Aussi bien en sciences, que dans la culture ou les religions. L’homme cherche toujours à expliquer “le vide”. Je prends ici le parti qui dit que le vide est plein, qu’il est à l’origine de tout.
Empty Garden est composée dans l’idée de proposer un deuxième volet à ma pièce “Black Garden” commandée par l’INA-GRM. La forme s’’en rapproche et l’univers sonore s’y développe avec certaines reprises.
I. From nothing
II. Noir I
III. In front of the stones
IV. Noir II
V. In the ground
VI. Noir III
VII. Strange immobility
VIII. This is black and light
Biographie
Armando Balice est compositeur, musicien improvisateur (synthétiseurs et machines électroniques), co-fondateur et directeur de la compagnie de création sonore et musicale Alcôme. Il enseigne la composition électroacoustique au conservatoire de Nanterre et collabore avec La Muse en Circuit en tant qu’artiste intervenant pédagogique. La dimension poétique et symbolique du « noir » inspire ses musiques.
L’idée de travailler sur ce concept de “Noir“ lui vient d’un poème de Guillevic qui l’a marqué. À partir de là, il aime explorer les différents aspects du noir, de la simple intensité de la couleur aux sens et références plus abstraits que l’on peut y trouver.
Il a bénéficier de commandes de différentes structures comme l’INA-GRM, La Muse en Circuit, ou encore la compagnie musicale Motus ainsi que de divers festivals.
Après un cursus complet en saxophone au conservatoire de Besançon et une licence de musicologie, il étudie la composition électroacoustique avec Jean-Marc Weber au conservatoire de Chalon-sur-Saône puis au Pôle Supérieur d’enseignement artistique de Paris Boulogne-Billancourt avec Denis Dufour et Jonathan Prager avant de poursuivre avec un Master en musique électroacoustique et arts sonores à l’université Paris-Est Marne-La-Vallée et l’Ina-GRM. La compagnie Alcôme qu’il dirige dispose de son propre acousmonium organise régulièrement des concerts de musique électroacoustique. Ses musiques ont été jouées dans de nombreux pays lors de festivals et concerts, notamment au festival Silence en Italie, au conservatoire de Wuhan en Chine, au Japon, au festival Acousmonium en
Russie, etc
Jean baptiste Favory Postlude [2020 création] 11’19
à Jean Fournet
Postlude est une pièce de musique concrète qui utilise comme matériau sonore un enregistrement du Prélude à l’après-midi d’un faune de Claude Debussy. J’ai utilisé ici la version jouée par le Metropolitan orchestra de Tokyo en 1999 dirigé par mon grand-père Jean Fournet (1913-2008).
Dans toutes ses interprétations, il prêtait la plus grande attention aux nuances du jeu orchestral.
L’insertion de subtils contrastes d’amplitude entre la puissance des cordes, et celle de la flûte solo lui permit de conserver une grande dynamique orchestrale, alors que son jeu en léger rubato assurait un enchaînement sans ruptures de tous les mouvements du prélude.
Jouant aussi des nuances, le poème de Mallarmé L’après-midi d’un faune sur lequel est basé le prélude oscille entre conscience et inconscience ; c’est une rêverie érotique où Debussy a tenté de mettre en musique le désir. La forme musicale du prélude reste floue, hésitant entre l’expansion d’un
thème à chaque fois modifié et l’inconsistance d’une structure formelle qui se dérobe à l’analyse. J’ai voulu ici préserver la forme mystérieuse du prélude, propice à un état mental intermédiaire où s’alternent présence et absence: notre mémoire est perturbée, nos souvenirs ne se figent pas et notre perception du temps qui passe s’en trouve modifiée.
J’ai poursuivi cette idée d’altération à l’aide des moyens de la musique électroacoustique. J’ai ici séparé par filtrage les bruits de l’orchestre (frottements d’archets, souffle de la flûte…), des composantes tonales des instruments afin de disposer séparément de ces deux aspects sonores. Les
violons vont et viennent, souvent engloutis dans un bruissement qui rappelle le flux des vagues.
Nous sommes embarqués sur un vaisseau onirique, incontrôlable, naviguant aux frontières du son et du bruit dans un flot toujours en évolution.
Outre ce filtrage, l’étirement temporel de certains sons a permis une sorte d’arrêt sur image qui met en évidence l’étonnant travail de Debussy sur le timbre. À ce titre, le ralentissement de la flûte du Faune nous permet de mettre en évidence son exploration des harmoniques, au moyen de cet
instrument au spectre pauvre, presque sinusoïdal. Ici, plus l’instrument est ralenti, plus on s’éloigne de son aspect originel, et son étirement nous montre des aspects cachés du son en agissant comme
une sorte de « loupe temporelle ».
De la même manière que cet étirement modifie le spectre sonore, celui-ci pourrait tout aussi bien s’appliquer à notre univers en expansion, avec un astre qui s’éloignerait de nous et dont le spectre lumineux s’étirerait vers le rouge : les sons ralentit changent eux aussi leur aspect spectral en
décalant leurs harmoniques vers le grave, dévoilant de nouvelles couleurs harmoniques jusqu’alors insoupçonnées.
Biographie
Jean-Baptiste Favory compose depuis 1989. Il a étudié la composition avec Jean-Claude Risset, Gérard Pape et Julio Estrada. Il fut l’assistant de Luc Ferrari et Gavin Bryars dans les studios de La Muse en Circuit dans les années 90. Au Mexique, il fait partie du groupe de free rock « Los Lichis » et en France de l’ensemble CLSI, (Cercle pour la Libération du Son et de l’Image) dirigé par Paul Méfano. Il anime depuis 2001 l’émission Epsilonia sur Radio Libertaire consacrée aux musiques expérimentales. La plupart des œuvres de musiques concrètes de Jean-Baptiste Favory ont fait l’objet d’une édition phonographique, en France, en Russie, en Angleterre et aux États-Unis.